À propos

Thierry Roy face à une de ses œuvres

Thierry Roy est chaudronnier. D'abord et donc pendant des années, il a appris, puis exercé une technique, et dompté la matière. Sans doute à ce moment déjà, aux ustensiles qui lui passaient devant les yeux, accrochait-il mentalement deux boulons pour qu'ils vîssent, et une large torsade de cuivre pour qu'ils sourissent. Peut-être aussi les chutes de métal, les copeaux, les bribes de matériaux devenus inutiles, jetables, jetés même, les mettait-il déjà de côté dans un désir encore informulé sinon de transmutation, au moins de récupération et de probable transformation

Le talent et la vie ont fait le reste. Il quitte son emploi de chaudronnier à Nancy quand il suit sa femme, mutée à Clermont et là, frénétique, commence à se créer un monde et unir, de façon compulsive mais ordonnée, des matériaux épars.

Thierry Roy travaille dans une grotte minuscule, bouche d'ombre, entrailles de la terre ; il y a en lui quelque chose d'un Vulcain démiurge quand son corps puissant, habité, se meut lentement entre les pièces de métal émoussées par la rouille, les planches de bois veinés des couleurs, traces de leur passé : traînée de laque rouge, sang séché, écailles de peinture écorchées, échardes ; entre les éclats de fer, d'aluminium ou d'étain des objets de toute taille qui peuplent son atelier, au centre de toutes ces choses anoblies par l'histoire de leurs vies antérieures.

A l'instar en effet d'autres attitudes artistiques ou littéraires, Thierry Roy travaille et crée sous contrainte : toutes ses œuvres sont l'assemblage d'éléments récupérés, «transposés», qu'il sauve des oublis de décharges enferraillées ou emboisées. Des proches, aussi, lui apportent parfois des vestiges d'objets, à valeur sentimentale, pour qu'il leur donne une seconde existence.

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » disait un poète. S'ils n'en ont pas, Thierry Roy leur en greffe une. De tous ces objets morts, décapités, éventrés par l'usure ou altérés par l'abandon et le vide, il ramasse les organes, redonne une puissance vitale à de nouvelles créatures (totems, personnages), et une patine sonore à des morceaux de matière qui attendaient dans un silence un peu froid. Sa manière d'opérer aurait à voir, sans doute, avec le découpage délicat des carcasses (son père était boucher), une sorte de mariage étrange et nécessaire entre la force et la minutie. L'artiste s'enferme dans son antre, et pendant des heures d'énergie, de froid, de chaud, et de solitude, il étale, assemble, tourne, choisit, désunit, tord, cisaille, disjoint, réunit, convulse et rassemble encore, compresse, associe l'idée de requin et l'objet marteau, relooke un récipient cabossé en le couvrant d'une mitre de prélat rigolard. Car il y a aussi en lui du magicien d'Oz, personnage du rêve, de l'enfance et de la fantaisie. Chaque geste, chaque idée devient le cadre de l'agencement retranscrit, grave, mais aussi amusé, ou décalé d'une œuvre. Qu'on se souvienne de ses trois touchantes « femmes enceintes », belles et drôles, où la majesté transfigurée des traits métalliques le disputait à la fantaisie de tétines pour figurer les seins des trois petites sculptures.

Thierry Roy, si l'on peut dire, fait (beau) feu de tout bois, puisqu'il réussit, à partir de rebuts, à reconstruire, superbement, des objets du quotidien, design-és : bracelets de guerrière, lourdes bagues, mais aussi vases, saladiers et récipients de cuisine à patine douce, et des lampes, solitaires, puissantes ou éthérées.

Thierry Roy récupère les éléments du passé pour en faire du beau et de l'émotion intemporelle. Il forge un monde proliférant d'objets-personnages différents mais tous unis par la beauté et la singularité Thierry Roy, comme son nom l'indique.

Nicole CHOLEWKA, écrivaine